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La griffe des rédacteurs en chef, partie 3

La griffe des rédacteurs en chef, partie 3

Longtemps sous le contrôle ou l’influence du Parti conservateur et de l’évêché, les responsables du journal s’en sont peu à peu libérés. François Gross est l’artisan du grand tournant. Récit en sept chapitres (partie 3, chapitres 6 et 7)

6. L’ouverture (1990 – 2004)

«Lorsqu’il succède à François Gross en 1990, le Jurassien José Ribeaud, qui vient également de la télévision, fait souffler un vent de modernité dans la rédaction, poursuit l’historien Pierre Evéquoz. Encourageant la polyvalence des journalistes sous la pression du multimédia, il transforme les locaux en vastes open spaces, ouvre des bureaux décentralisés et réforme la ligne graphique. En 1993, sur fond de crise économique, naît Romandie Combi (ROC), une alliance publicitaire entre La Liberté, Le Nouvelliste, L’Impartial, L’Express, Le Journal du Jura et Le Quotidien jurassien, qui se double de collaborations rédactionnelles. Une brèche est ouverte. Mais c’est le Fribourgeois Roger de Diesbach, fort de sa grande expérience du journalisme d’investigation, qui transforme, dès 1995, le journal régional en véritable «Quotidien romand édité à Fribourg». Son arrivée coïncide avec l’entrée en vigueur de la nouvelle charte rédactionnelle (1996).

José Ribeaud (à gauche) et les designers lors de la création de la nouvelle ligne graphique en 1992

José Ribeaud (à gauche) et les designers lors de la création de la nouvelle ligne graphique en 1992.

Le quotidien renonce à la soumission au magistère de l’Eglise, invoquant désormais les «valeurs catholiques et chrétiennes». Symptomatique: la page «Eglise» est renommée «Religions» en 2000. Les éditoriaux de Roger de Diesbach sont marqués d’un journalisme au service de la vérité, même, et surtout, si elle dérange. Loin du journalisme de connivence, il fait du doute l’une des qualités essentielles du métier. D’une plume acérée, il n’épargne ni les puissants de ce monde, ni la Suisse officielle et sa «tiédeur». Il ne cache pas ses craintes face à la montée du nationalisme et de l’UDC, couronnée par l’élection de Christoph Blocher au Conseil fédéral. Sur le plan médiatique, de Diesbach prend la défense de la presse régionale indépendante. Face à la politique de concentration et la puissance financière des grands groupes de presse (Edipresse, NZZ, Ringier, Tamedia), ainsi qu’aux tendances à la baisse des revenus publicitaires, La Liberté ne peut pas lutter à armes égales. Après des échanges d’articles avec le Journal de Genève et la Gazette de Lausanne qui ont pour but de mieux couvrir le canton de Vaud, elle noue des collaborations rédactionnelles avec d’autres médias, dont Libération, La Libre Belgique ou Radio suisse internationale.»

7. Nouveaux défis (2004 – 2021)

«Poursuivant sur la lancée, les rédacteurs en chef fribourgeois Louis Ruffieux puis Serge Gumy vont maintenir le cap de la qualité face à une concurrence polymorphe, tout en relevant de nombreux défis économiques et techniques, dont l’introduction d’une édition numérique, les refontes de la ligne graphique et la lutte contre l’illusion de la gratuité. Ces deux candidatures internes témoignent d’une continuité dans l’orientation éditoriale du journal, bien qu’internet et les médias audiovisuels impliquent de repenser la mise en forme du contenu, de même que sa transmission au public. Continuité également sur le plan des conditions économiques – la crise financière de 2008 et la pandémie de 2020 accélèrent la chute des recettes issues de la publicité, déjà fortement entamées par la migration des annonces sur internet – et des stratégies déployées pour y faire face, par le développement notamment de collaborations rédactionnelles avec les titres du groupe ESH Médias. Continuité enfin dans la lutte pour l’autonomie: à sa nomination, Louis Ruffieux, aux analyses politiques réputées, souligne l’importance de l’affranchissement partisan d’un journal, ce qui dit bien à la fois le statut multiforme des médias et le caractère fondamentalement dynamique des relations qu’ils entretiennent avec leur environnement. L’indépendance dans le jugement et la crédibilité doivent ainsi former le pivot autour duquel s’articule le travail des journalistes, des valeurs consacrées par un sondage de Publicom qui qualifie en août 2020 La Liberté de média «le plus crédible de Suisse». Continuités, mais ruptures aussi, comme en 2014, année qui voit la dernière Liberté être imprimée à Fribourg et l’ouverture du capital actionnarial à la Banque Cantonale de Fribourg et au Groupe E.

Roger de Diesbach (à gauche) et son successeur Louis Ruffieux lors d’une séance de rédaction en 2004.

Roger de Diesbach (à gauche) et son successeur Louis Ruffieux lors d'une séance de rédaction en 2004.

Aujourd’hui, La Liberté s’apprête à ouvrir un nouveau chapitre de son histoire, à en croire les dernières informations parues. Elle rejoint La Gruyère, Le Messager et La Broye Hebdo au sein d’une société unique qui place au premier plan la vocation régionale de ses titres. Serge Gumy, en poste depuis 2015, quitte la rédaction pour prendre la direction de la nouvelle société. Homme de lettres devenu, selon ses termes, homme de chiffres, il est le premier rédacteur en chef du journal à revêtir la casquette d’éditeur – et le premier éditeur issu du milieu journalistique. La Liberté accueillera prochainement son successeur. L’occasion pour elle de connaître la première rédactrice en chef de son histoire?»