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La griffe des rédacteurs en chef, partie 2

La griffe des rédacteurs en chef, partie 2

Longtemps sous le contrôle ou l’influence du Parti conservateur et de l’évêché, les responsables du journal s’en sont peu à peu libérés. François Gross est l’artisan du grand tournant. Récit en sept chapitres (partie 2, chapitres 4 et 5)

4. Mainmise des conservateurs (1945 – 1970)

«Lorsque Mgr Charrière est nommé évêque diocésain, en 1945, c’est l’abbé Louis Grillet, responsable des Œuvres chrétiennes-sociales du diocèse, qui reprend, à la demande de son prédécesseur, la périlleuse mission de diriger un journal soumis à des luttes d’influence. En 1946, La Liberté est accusée par le parti d’avoir savonné la planche du conseiller d’Etat sortant Joseph Piller, qui doit céder son siège à un radical. Pour reprendre le contrôle du journal, les conservateurs tentent d’imposer une nouvelle société éditrice ne laissant qu’une participation minoritaire à l’Œuvre de Saint-Paul. Ce coup de force, visant à retirer le journal des mains des religieuses, n’aboutit pas. Néanmoins, l’influence du parti reste forte. Signe tangible: en 1947, Pierre Barras, préfet de la Gruyère, est nommé rédacteur politique. Et en 1951, c’est aussi un ancien député conservateur et président du parti à Romont, le juge cantonal Roger Pochon, qui devient rédacteur en chef. Lui-même est conscient de sa réputation d’«homme de l’extrême droite du parti».

S’il est le premier laïc à diriger La Liberté depuis 1906, son cahier des charges reste cependant soumis à l’approbation de l’évêque, tandis qu’on lui impose un rédacteur ecclésiastique pour les pages religieuses. Réticente à l’ouverture insufflée par le concile Vatican II, la rédaction, emmenée par Pochon, entre en conflit avec les sœurs de Saint-Paul, qui se plaignent déjà de la mainmise du parti. Peu à peu, Pochon tente de recentrer le journal sur le canton, avec la volonté d’en faire le «miroir de la vie fribourgeoise». Mais son projet de bureau à Bulle, supposé élargir l’audience du journal en Gruyère, échoue. Surtout, La Liberté souffre de son image d’organe partisan, qui peine à intéresser les jeunes, ce que révèle un tirage quotidien stagnant autour de 20'000 exemplaires.»

Roger Pochon (3ème depuis la droite) et son équipe rédactionnelle en 1951. Au centre, en bout de table, Madeleine Butignot, première rédactrice de La Liberté

Roger Pochon (3ème depuis la droite) et son équipe rédactionnelle en 1951. Au centre, en bout de table, Madeleine Butignot, première rédactrice de La Liberté

5. Le grand tournant (1970 – 1990)

«Contrairement à Roger Pochon, qui connaissait mal les médias, François Gross est un journaliste accompli, ancien rédacteur en chef du Téléjournal. Indépendant du parti et ouvert au concile Vatican II, il reçoit carte blanche pour composer une rédaction de jeunes professionnels. Fort d’une volonté de maintenir des frontières claires avec le monde politique, il ouvre le journal à toutes les tendances, et fait de La Liberté «le quotidien des Fribourgeois».

L’équipe s’étoffe, chaque rubrique, dont le nombre s’accroît, dispose de ses propres locaux. Gross met en place des séances de rédaction, appelle les journalistes à amener des idées originales, impose un principe qui tranche avec le passé: désormais, c’est l’actualité qui détermine la hiérarchie des articles, et non plus la position du parti ou de l’Eglise. Il invite aussi les journalistes à sortir de leur bureau, à aller au contact de la population et à mener des enquêtes. Avec lui, le journal entre dans la société, alors que jusque-là il la surplombait. En témoigne la place croissante prise par les sports, à laquelle François Gross n’est pas favorable mais dont il doit bien constater le succès éclatant.

Dans un ouvrage postérieur, il confie avoir été appelé pour «faire bouger la maison». Gross doit toutefois composer durant plusieurs années avec quelques journalistes de l’ancienne école, comme le rédacteur politique Pierre Barras, longtemps secrétaire du parti. Le rédacteur ecclésiastique Alphonse Menoud (60ans), dont il a hérité de l’ère Pochon et qu’il qualifie d’«Etat dans l’Etat», est poussé vers la sortie en 1975. Son successeur, le père blanc Bernard Weissbrodt (32ans), est quant à lui appelé à privilégier aux articles de doctrine des reportages sur le terrain et à suivre une formation journalistique, témoignage de la professionnalisation croissante du métier. C’est en 1984, avec l’arrivée de Patrice Favre, qu’un laïc se voit confier les rênes de la rubrique religieuse.

De son côté, l’administrateur Hugo Baeriswyl joue un rôle important dans le développement commercial du journal. L’abondance publicitaire, dès les années 1970, permet ainsi l’expansion de la rédaction, qui triple en vingt ans, dépassant les trente personnes en 1990. Avec un succès certain, puisque le tirage augmente de moitié en 20 ans pour se stabiliser autour de 35'000 exemplaires».