Chez lui à Hauteville, Georges Blanc coule une retraite – prise de façon anticipée en fin d’année 2010 – aussi active, et même plus, qu’a été sa vie durant ses 42années à la rédaction de La Liberté. Le Gruérien sort son vélo ou ses skis de fond lorsqu’il en a l’occasion, il bûcheronne en forêt et s’occupe également de ses huit petits-enfants avec son épouse. A 73ans, il pratique encore un peu son métier, comme correspondant de boxe. Entré à La Liberté en 1968, issu de la première volée de l’Institut de journalisme de l’Université de Fribourg, il a créé, dirigé et développé la rubrique sportive, qui était quasiment invisible dans les éditions des premières décennies de ce quotidien. Georges Blanc est aussi le plus ancien des membres de la rédaction à pouvoir témoigner. Il a connu le passage de La Liberté à quatre cahiers, celui du plomb à la photocomposition et de la machine à écrire à l’ordinateur.
Comment avez-vous atterri à La Liberté?
Georges Blanc: J’ai commencé en avril 1968. J’ai étudié les lettres à l’uni, faculté dans laquelle un Institut de journalisme avait été créé. Roger Pochon (éditeur-rédacteur en chef, ndlr), Pierre Barras (rédacteur) et Hugo Baeriswyl (directeur) faisaient partie des enseignants. Afin de valider mes études, je devais effectuer un stage de trois semaines dans un journal. Je l’ai logiquement fait à La Liberté.
Quelles ont été vos premières tâches pour le journal?
Quand j’ai commencé, il y avait peu de monde à la rédaction: Roger Pochon, Edouard Collomb (premier rédacteur, ndlr), un journaliste pour l’Etrangère, Jean-Marie Brasey pour la Régionale, l’abbé Menoud rédacteur ecclésiastique, Madeleine Butignot pour le Magazine et une secrétaire. Dans le local, tous les bureaux étaient alignés. Ma place était en bout de ligne. On me donnait du boulot. J’ai commencé par dresser les listes de convois funèbres (ils sont quelques-uns, les anciens, à avoir un parcours similaire, ndlr). Il y avait encore Ferdinand Brunisholz, qui était en charge de la mise en page. C’est lui qui m’a le plus encouragé.
Encouragé?
J’avais écrit mon travail de mémoire sur le sport dans La Liberté. Ou plutôt sur l’absence de sport. C’était dans un sens très négatif, mais mon analyse avait retenu l’attention de Rocher Pochon et de Hugo Baeriswyl. Par contre, à l’Institut, Pierre Barras, qui était chroniqueur parlementaire, m’avait demandé ce que je voulais faire. Je lui avais répondu journaliste sportif, et il avait réagi comme si je lui avais annoncé vouloir devenir éboueur. Pour lui, le sport n’avait pas sa place dans le journal. D’ailleurs, La Suisse ou La Tribune de Lausanne, à l’époque, ne proposaient que peu de sport dans leurs pages. Cela avait favorisé l’éclosion de la Semaine sportive (hebdomadaire à thème unique, ndlr).
Comment avez-vous réussi à faire passer vos idées?
En 1968, il y avait des articles consacrés au FC Fribourg, au FC Central ou à Gottéron, et quelques autres nouvelles. Mais c’est tout. On m’appelait le rédacteur polyvalent. J’ai essayé petit à petit de me débarrasser de ce qu’on me demandait de faire pour faire passer des articles sur le sport. Ferdinand Brunisholz a continué à m’encourager. Et Roger Pochon a fini par admettre l’intérêt de parler de sport. La popularité de Gottéron, du FC Fribourg ou de Jo Siffert, dont les performances étaient louées, ont bien aidé au développement de la rubrique. Jacques Deschenaux avait ainsi été notre premier correspondant sur l’auto. Il avait sa chronique: «Siffert nous dit».
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Le nombre d'années que Georges Blanc a travaillé à la rédaction
Et la rédaction sportive a grandi…
J’étais seul et j’essayais de tout faire. Même le samedi. L’aide est venue quand le service de l’agence s’est étoffé. Il fallait couper le télex et préparer les titres pour envoyer à la composition. J’étais débordé. On m’a mis à disposition Marcel Gobet pour m’aider le dimanche. Et, de mon côté, pour avoir toujours plus d’informations, j’ai contacté des gens en leur disant de ne pas hésiter à nous envoyer des textes. Le rubrique n’a cessé de croître. C’était une volonté affirmée de ne pas se cantonner aux sports rois. Nous étions ouverts à tout. Nous voulions atteindre autant de personnes que possible sur Fribourg à travers le sport. Le changement a été bien accueilli. Tout s’est fait naturellement. Une chose a joué un rôle important selon moi: la rubrique a été comme une deuxième famille.
De zéro rédacteur sportif avant votre arrivée, La Liberté en comptait huit avant que vous ne preniez votre retraite. Quelle croissance!
A chaque fois que nous voulions grandir un peu, du monde s’est présenté pour rédiger des articles. Les rédacteurs en chef voyaient que j’arrivais à saturation. Ils constataient que j’avais besoin d’aide. J’en ai profité. J’ai d’abord pu engager Marcel Gobet à plein temps. J’ai continué à manœuvrer pour faire grandir la rubrique. François Gross m’avait dit qu’il était prêt à faire paraître La Liberté sans sport, s’il le pouvait… J’ai dû lui faire comprendre que ce n’était pas possible, et la lutte pour étoffer la rubrique a continué. Marius Berset est arrivé en numéro 3. Il en faisait tellement, en tant que pigiste, que c’était une évidence de l’engager. Les gens amenaient leurs idées et moi, j’étais très réceptif.
La concurrence de La Tribune/Le Matin a constitué une sacrée motivation. Je ne supportais pas que d’autres journaux romands fassent paraître certains sujets avant nous. Le cahier sportif a vite pris du volume, et ce développement a incité de nombreuses nouvelles personnes à lire La Liberté. La régionale pouvait s’appuyer sur le suivi des Grands Conseils. Il y avait déjà une couverture en place, comme pour la rubrique culturelle, nationale ou internationale. Le magazine a toujours existé. Ce n’était pas le même problème pour les sports. Nous étions partis de peu, mais le développement a été spectaculaire. Cela a bousculé tout le monde. Et c’est aussi important.
Des dessins avant les photos
Les dessins d’Alex, depuis 1999, font l’unanimité. Ou presque. N’y en aurait-il point comme lui? Le coup de crayon du Broyard est apprécié et ses interventions attendues. Avant la naissance d’Alexandre Ballaman, La Liberté avait déjà ouvert ses pages aux dessinateurs. Le premier caricaturiste officiel a été Pécub (1979-1990). Mais, à la fin des années soixante, le feuilleton dessiné «Petzi, Riki et Pingo» était par exemple déjà proposé. Dans l’ordre chronologique, il est intéressant de noter que les dessins précèdent la publication de photographies.
Des photos, d’ailleurs, parlons-en! Des photos en couleur qui se transmettent d’un simple clic ou des infographies enregistrées directement dans le système: comme le contenu rédactionnel, le contenu visuel actuel n’a plus rien à voir avec ce qui existait durant le premier centenaire. La grosse évolution a eu lieu en 1981 avec le passage à la quadrichromie. Le pas du tout en couleur a été franchi en 2006-2007. Longtemps, le noir et blanc était la règle. Photos ou illustrations ont commencé à égayer les annonces au début du XXe siècle. Le portrait d’André Bovet, fraîchement nommé Evêque de Lausanne et Genève, a paru en Une du journal le 27 novembre 1911: une révolution, toutes les éditions n’ayant contenu que des lettres ou des chiffres auparavant.
Mais la publication de photos était loin de devenir régulière. A la fin des années soixante, la publication d’une photo au moins en première page est devenue régulière. Pour le reste du journal, il a fallu attendre. Le procédé pour imprimer une image était long et délicat à l’ère du plomb. La transmission même des photos était compliquée jusqu’au début des années huitante. Dans les années soixante, la rédaction recevait deux fois par jour des plis de photos d’agences de Zurich et Lausanne. Elle a pu ensuite compter sur la production de son premier photographe, Jean-Louis Bourqui, puis sur la réception par belino de photos d’actualité internationale. Mais il fallait une heure pour «télécharger» l’image.