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Elles racontent leurs débuts

Elles racontent leurs débuts

Les premières femmes journalistes de «La Liberté» ont été engagées à la fin des années septante

Elles avaient en commun le goût pour l’écriture, la curiosité, l’intérêt pour la nouveauté, l’envie d’apprendre, et aussi parfois le désir de dénoncer des dysfonctionnements et des injustices. Elles furent parmi les premières femmes à travailler comme journalistes à La Liberté, à la fin des années septante. Quatre d’entre elles racontent leurs débuts dans un métier surtout pratiqué par des hommes à cette époque. C’est François Gross, rédacteur en chef à cette période, qui a choisi d’engager ces premières femmes. Toutes sont d’accord sur le fait qu’il leur a fait confiance, tout en étant assez exigeant.

Anne Dousse, aujourd’hui âgée de 67ans, se souvient avec enthousiasme de ses débuts à La Liberté. Engagée en 1977 comme stagiaire à la rubrique régionale, elle affirme: «Je pense que je ne pouvais pas avoir un meilleur stage!» Elle a ensuite travaillé comme journaliste parlementaire pour La Liberté, de 1979 à 1981. Anne Dousse a vraiment eu l’impression que François Gross lui a fait confiance dès le début. «C’est lui qui m’a encouragée lorsque j’ai sorti mon premier scoop. Il m’a aussi confié des éditos.» Elle s’est toujours sentie bien accueillie par ses collègues hommes.

Ignorer les ragots

Elle se souvient toutefois de bruits de couloirs à Berne: «Quand je décrochais des informations que des collègues n’avaient pas, on entendait dire qu’elle les avait obtenues sur l’oreiller…» Ces ragots ne lui ont pas fait peur pour autant: elle a continué à avancer. Elle a ensuite répondu à l’appel de Roger de Diesbach, alors rédacteur à La Tribune (ancien Matin), et quitté La Liberté. Elle a fonctionné comme journaliste parlementaire durant une vingtaine d’années. Et a continué à suivre le quotidien fribourgeois: «La Liberté a toujours été pour moi un journal de référence.» Et de préciser: «Mes deux mentors ont été François Gross et Roger de Diesbach, qui a lui aussi occupé plus tard le poste de rédacteur en chef à La Liberté

«C’était dur, mais si j’arrêtais, je savais que je n’aurais plus jamais la chance de faire ce métier. J’ai vraiment aimé ma profession»
Madeleine Joye

Au début, elle aspirait à devenir correspondante de guerre. C’est la chute du président chilien Allende et la guerre du Vietnam qui l’ont poussée vers cette profession. Mais elle ajoute: «J’aime les gens, il faut les aimer pour écrire de bons papiers.» En travaillant à La Liberté, Anne Dousse a senti une ouverture sur le monde, des valeurs humaines, un respect de l’autre. «Ce qui n’est pas forcément le cas dans toutes les rédactions.» Elle affirme y avoir beaucoup appris: «J’ai vraiment grandi à La Liberté. Et ce que La Liberté m’a donné, j’aime beaucoup le redonner.»

Apprendre tous les jours

Quand elle replonge dans sa mémoire, Madeleine Joye se souvient que François Gross ne voulait tout d’abord pas l’engager comme journaliste. Fonctionnant déjà comme secrétaire à la rédaction, plus précisément comme «auxiliaire du soir», depuis 1977, elle a manifesté son intérêt pour un poste de journaliste qui s’était libéré de manière inattendue en 1983. «François Gross avait essayé d’aller chercher un journaliste valaisan, mais ce dernier a refusé sa proposition. Il a donc dû concéder que le plus simple était de m’engager», explique-t-elle avec un petit sourire. «J’ai repris ce poste au pied levé et c’était assez intense, puisque c’était une période préélectorale.» Avec une fille de 10ans qu’elle élevait seule, Madeleine Joye garde le souvenir d’une période assez remplie de sa vie: «Je rentrais pour dîner et aussi à 16h pour faire les devoirs avec ma fille. Je retournais ensuite travailler une fois que ma fille était couchée. J’étais un peu décalée par rapport à certains de mes collègues hommes, qui me regardaient parfois de travers quand je partais à 16h. Mais j’étais à mon poste le matin bien avant eux.» La septuagénaire ajoute avec le sourire: «C’était dur, mais si j’arrêtais, je savais que je n’aurais plus jamais la chance de faire ce métier. J’ai vraiment aimé ma profession. Ce qui me manque le plus, c’est le fait d’apprendre de nouvelles choses tous les jours, à chaque article que l’on rédige.» Et par rapport à ses interlocuteurs, elle ne se rappelle pas de situations où elle aurait pu se sentir inférieure.

Se battre pour son salaire

Madeleine Joye évoque en revanche une différence de traitement salarial: alors qu’elle avait commencé avec un salaire de stagiaire, deux collègues hommes avaient été engagés peu après elle avec le même statut, «mais ils ont directement touché un salaire de journaliste RP, ce qui représentait près du double du mien…» Et de relever: «Lorsque j’ai demandé la raison de cette différence à l’éditeur de l’époque, il m’a répondu: «Vous comprenez qu’ils ont une charge de famille.» Et le fait que j’élevais seule ma fille n’a pas du tout compté dans la balance…»

«Alors qu’on m’avait demandé de passer de 50 à 60%, j’ai dû convaincre l’éditeur de m’augmenter. D’abord, il avait refusé en me disant que mon mari gagnait assez»
Eliane Waeber Imstepf

Engagée en 1978, Eliane Waeber Imstepf a aussi dû se battre pour être payée correctement. «Certaines femmes de notables fribourgeois écrivaient de temps en temps pour La Liberté pour s’occuper. Et il a fallu que je négocie avec l’éditeur pour être payée comme mes collègues hommes. Alors qu’on m’avait demandé de passer de 50 à 60%, j’ai dû convaincre l’éditeur de m’augmenter. D’abord, il avait refusé en me disant que mon mari gagnait assez. J’ai dû argumenter, mais j’ai fini par avoir gain de cause», précise la septuagénaire. De manière plus générale, elle n’a jamais eu de problème à évoluer dans un monde plutôt masculin.

Elle affirme avoir éprouvé beaucoup de plaisir à travailler pour la rubrique culturelle. Elle a d’ailleurs écrit pour La Liberté Dimanche. Alors qu’elle avait commencé sa carrière comme enseignante au collège, elle a eu besoin d’autre chose. «Et comme j’avais baigné dans le monde journalistique avec mon père, qui était responsable de L’Indépendant, un journal d’annonces qui proposait un édito, j’ai rapidement trouvé des piges à écrire.»

L’atout d’être une femme

Monique Durussel, âgée de 76ans, a aussi commencé par faire des piges culturelles pour La Liberté. Elle a ensuite fait son stage comme indépendante au début des années huitante. Après avoir obtenu son certificat de journaliste RP, elle a été formellement engagée à La Liberté. «J’ai alors travaillé pour la rubrique locale.» Et François Gross lui a offert un joli challenge, puisqu’elle a ouvert le premier bureau de La Liberté à Romont. «François Gross m’a dit: «Je suis sûr que vous avez la force pour travailler en région.» C’est très encourageant quand on sent qu’un rédacteur en chef a confiance en nous.» Mais dans la Glâne, l’arrivée de Monique Durussel a changé la donne, puisque l’ancien pigiste qui couvrait ce district était membre du PDC et professeur au CO. «Je suis donc allée trouver tous les partis pour leur expliquer que je n’avais aucune couleur politique», relève celle qui a fait des études de sciences politiques. Elle a clairement dû se faire sa place, avec les interlocuteurs masculins qui pouvaient la prendre pour la secrétaire ou qui lui demandaient si son chef allait la relire.

Mais elle avoue qu’être une femme pour exercer ce métier peut aussi être un atout: «J’ai l’impression qu’une femme met plus facilement à l’aise un interlocuteur récalcitrant, elle fait moins peur. Je me souviens avoir réussi à désamorcer des tensions.»

Au final, parmi ces quatre pionnières, trois sont restées à La Liberté jusqu’à leur retraite. Si ces femmes parlent de leur carrière parfois avec un brin de nostalgie, on sent surtout qu’elles se sont épanouies dans leur métier.