Logo de La Liberté La LibertéÀ propos
C'était dans La Liberté, partie 2

C'était dans La Liberté, partie 2

La façon de relater un événement a changé depuis 1871. Analyse de contenus, de place consacrée et de moyens déployés pour couvrir des événements ayant marqué l’histoire locale, nationale et internationale. Deuxième partie: 1947-1980

1947: Une «néfaste» grève du lait

Au début du mois de novembre 1947, des agriculteurs romands, revendiquant une hausse du prix du lait, contrôlé par la Confédération, lancent une action de grève du lait au motif que l’augmentation des tarifs proposée par le Conseil fédéral est insuffisante. La Liberté couvre cette actualité plusieurs jours de suite, dans ses «Nouvelles de la dernière heure», en dernière page du journal.

Le lundi 3 novembre, dans un article non signé sur deux colonnes pleines, le journal dit tout le mal qu’il pense de cette «tentative de grève néfaste», organisée par l’Union romande des agriculteurs, ancêtre d’Uniterre. Blâmant les grévistes, il estime que, dans un régime d’économie de guerre prolongé, une grève du lait est un acte illégal comportant des sanctions pénales.

Selon le journal, la grève du lait est un acte illégal

En conclusion du texte et dans des entrefilets parus les jours suivants, le quotidien se réjouira même que l’opération menée par ce petit groupement de producteurs romands a très largement échoué, et, surtout, que le mot d’ordre de grève n’a quasiment pas été suivi dans le canton de Fribourg, resté très sage pour l’occasion.


1963: Kennedy, une mort bien orchestrée

Le 22 novembre 1963, le président américain John Fitzgerald Kennedy est assassiné à Dallas. Le lendemain, La Liberté publie deux pleines pages sur cet «horrible attentat» contre «ce jeune et dynamique homme d’Etat», mais ne consacre qu’une colonne de commentaire en Une, illustrée par un petit portrait, l’essentiel de la page étant consacré à l’actualité religieuse. L’éditorialiste fait le lien avec l’assassinat un siècle plus tôt d’Abraham Lincoln et imagine «tous ceux à qui cette mort peut profiter». Rappelant que «deux grands hommes sont morts cette année, le pape Jean XXIII et John Kennedy», il se montre extrêmement lucide: «Devant l’horreur de cet acte, on voudrait espérer que toute la lumière sera faite sur ses tenants et ses aboutissants. Mais pourra-t-elle l’être? Tout attentat contre un homme d’Etat pose des énigmes qui ne sont que trop rarement élucidées.»

«Du sang coulait de la tête de M. Kennedy, tandis que son épouse, qui était à son côté, s’accrochait à lui»
Un témoignage

Les deux pages publiées le même jour sur cette «mort tragique», signées essentiellement par les agences de presse, impressionnent par la richesse des témoignages: «Du sang coulait de la tête de M. Kennedy, tandis que son épouse, qui était à son côté, s’accrochait à lui en criant: «Oh! Non, ça n’est pas possible!» Ou, plus loin: «Deux prêtres ont été appelés au chevet du président, qui a reçu les derniers sacrements.» Le quotidien annonce déjà nommément l’arrestation du suspect Lee Harvey Oswald, évoquant ses liens avec l’URSS. Il décrit dans le détail cet «assassinat minutieusement préparé» et publie même une photo de la voiture présidentielle lors de l’attentat. A croire que tout avait été orchestré bien à l’avance… y compris la couverture médiatique.


1969: La «conquête» de la Lune

Le lundi 21 juillet 1969, à 3h56, alors que le «vélonaute» Eddy Merckx vient de remporter pour la première fois le Tour de France, les Américains posent le pied sur la Lune. La Liberté, qui suit dans le détail l’aventure d’Apollo-11 depuis son lancement le 16 juillet du Centre spatial Kennedy, se montre emphatique: «L’homme, déjà maître de la Terre, a conquis une nouvelle planète. Neil Armstrong, commandant du vol Apollo, est descendu sur la Lune, en a foulé le sol et en a pris possession au nom de l’humanité. (…) La Lune désormais appartient à l’homme. Ni apprivoisée, ni domestiquée encore, elle est néanmoins conquise.» Ce discours conquérant, au ton surprenant, s’inscrit évidemment dans le contexte très tendu de la guerre froide.

Dans les pages consacrées aux astronautes – que La Liberté appelle encore «cosmonautes» (!) – le quotidien fribourgeois s’inquiète ainsi à plusieurs reprises de la mission soviétique simultanée Luna-15, dont le vol circumlunaire pourrait mettre en péril l’alunissage du module lunaire américain (LEM). La Liberté revient également sur la citation «forcément historique» d’Armstrong, «L’Aigle a atterri!», prononcée au premier contact du LEM dans la poussière lunaire de la mer de la Tranquillité. Pour le journal, qui relaie l’AFP, «c’est bien sûr l’aigle royal des Rocheuses, l’emblème des Etats-Unis, mais il porte dans ses serres, rappelle-t-on à Houston, une plaque de paix au nom de l’humanité tout entière».

De son côté, le rédacteur ecclésiastique Alphonse Menoud y va de son sermon en première page, soulignant que «l’homme ne commet aucune impiété en poussant toujours plus loin l’audace de ses explorations, pourvu qu’il reconnaisse partout les liens de dépendance qui nous relient au Créateur». A noter qu’en Une du journal, le 23 juillet, l’article «Les conquérants de la Lune» est illustré par une photo… du pape Paul VI regardant le ciel dans une lunette astronomique!


1980: Les brise-glace du Gottéron

C’est dans la patinoire archicomble des Augustins (4800 spectateurs selon les chiffres officiels), plantée alors au pied de l’ancien couvent du même nom, que le HC Fribourg-Gottéron signe ce mardi 4 mars 1980 ce qui reste son plus bel exploit. Le club, fondé en 1938 par des gamins de la Basse-Ville, obtient sa promotion en ligue nationale A en battant le CP Zurich 6 à 0.

En Une de La Liberté du lendemain figure un encadré saluant ce «succès historique» et une photo de l’entraîneur Gaston Pelletier porté en triomphe. Le cahier sportif de l’édition du jour revient plus précisément sur le déroulement du match. Les joueurs fribourgeois n’ont pas laissé la place au doute et ont dominé l’adversaire tout au long de la rencontre. Sous la plume du journaliste et écrivain André Winckler, les critiques de l’équipe fribourgeoise se font dithyrambiques: «brillamment gagné», «succès indiscutable», «les hommes de Gaston Pelletier se sont montrés souverains», tandis que les Zurichois se voient qualifiés de «colosse aux pieds d’argile». En fin de compte rendu, l’encadré «Buts et pénalités» détaille minutieusement les faits marquants, pratique toujours en vigueur au sein de la rédaction.

«On a glandouillé un peu sur le parvis du temple pour voir défiler les tronches.» D’entrée ce reportage d’ambiance, paru dans l’édition du 6 mars, donne le ton. Son auteur raconte sa soirée «en l’Auge» durant et après la rencontre, dans les «troquets», à «s’enfiler des bobinos». Longue plongée introspective, seul le point de vue du narrateur est ici conté. Le texte ne contient pas de citations d’autres supporters de l’événement, mais est accompagné d’éloquentes photos. Pas d’informations détaillées sur l’ambiance dans les tribunes: le journaliste n’avait pas de billet hormis son humeur.

La Liberté consacre, le mercredi 12 mars suivant (les délais d’impression ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui), une double page sur les «héros du 4 mars». Chaque joueur est brièvement présenté et son aptitude de jeu décrite par André Winckler. Seul l’attaquant étranger Jean Lussier est alors professionnel. Interviewé, le président du HC Fribourg, Anton Cottier, reconnaît devoir «entamer des discussions avec les employeurs» des Fribourgeois afin «d’assurer aux joueurs des périodes de repos». Un texte analytique précis qui ne cède pas la place aux émotions des héros du moment.